N° 81 – Gestion de l’information et Développement au Sénégal

50 années se sont écoulées depuis que nos pays d’Afrique ont défait leurs liens politiques avec les puissances colonisatrices d’Europe. Un âge d’adulte qui, ramené à dimension humaine, est une station de la vie où tout individu a le désir d’avoir comme bilan d’étape, une réussite de sa vie à défaut de réussite dans la vie. A l’aube de ces indépendances politiques, le leitmotiv général était de faire de nos villes, nos capitales tout au moins, des cités comme celles d’Europe, sachant que ces villes principales (les capitales) sont un baromètre parfait pour mesurer l’état d’avancement général d’un pays. Nul besoin de trop s’épancher sur la situation, la réalité étant là pour en attester. Sommes-nous devenus comme des parisiens en 2013 ? – Non ! 🙂

Les causes de la stagnation ou du recul sont multiples, mais toujours est-il qu’elles ne peuvent être identifiées que dans le constat de l’inertie et l’inefficacité des structures et secteurs qui composent ce grand système qu’est l’Etat, dont les interactions  si elles sont bien huilées sont gage d’avancement et de développement.

Quel est la part de responsabilité des gestionnaires de l’information documentaire dans ce cas particulier du Sénégal ?

A mon humble avis, nous avons plus péché tout au long de notre histoire, par une relative passivité, non dans le désir d’être de bons professionnels, ni celui de vouloir bâtir un corps de métier fort et des lieux documentaires normativement fonctionnels, mais dans le combat du lobbying pour montrer à tous les gouvernements successifs, la position centrale qu’occupe l’accès à l’information et au savoir dans le processus de développement. Il faut toutefois reconnaître l’engagement militant de quelques anciens en ce sens, à qui il manquait sans doute un soutien quantitatif, eu égard au nombre assez limité de professionnels formés jusqu’à une certaine époque.

Quel est en effet le secteur de la vie étatique qui peut se passer d’une bonne gestion documentaire dont le maillon principal est sa dimension source de connaissances, impliquant aussi bien des sources externes et internes à l’Etat. Ces dernières étant par excellence le vivier sans lequel les actions d’aujourd’hui et celles de demain ne pourraient être efficientes ni efficaces. Avons-nous pour ce cas précis des structures archivistiques dignes de ce nom ? – Oui, notamment grâce à des générations de professionnels bien formés. Ces structures sont-elles valorisées ? – Non et c’est là où le bât blesse, là où la mémoire d’une nation mérite toute considération et valorisation, elle est tout simplement réduite à un statut de faire-valoir quand elle n’est pas tout simplement ignorée. Un statut sous-prioritaire aussi bien injuste qu’incompréhensible, quand on sait la place qu’a occupé ce pays dans l’histoire coloniale de l’Afrique et qu’il a durant plusieurs décennies abrité les archives de toute l’Afrique occidentale française, qu’il a abrité la première école de bibliothécaires et d’archivistes de l’Afrique francophone où a été formée la presque-totalité des professionnels des pays de cette zone linguistique du continent.

Devons-nous continuer à laisser-faire et perdurer ce statuquo absurde et incompréhensible, d’un pays sans bibliothèque nationale, avec un centre national de documentation scientifique et technique qui est en train de mourir de sa belle mort ? – Il ne faut surtout pas, car un pays sans mémoire est un pays sans identité et sans identité il est difficile de se réaliser et parce que pour réaliser il faut d’abord exister. Il est temps que nous nous projetions dans l’avenir, qui à l’échelle d’un pays se conjugue aussi dans le court terme.

Quel héritage laisserons-nous à nos petits frères et sœurs, nos fils et filles, nos petit-fils sur lequel ils pourront continuer à bâtir un pays qui les feraient s’épanouir et vivre comme les autres habitants des cités développées que nos pères avaient rêvées pour nous ? – Cet héritage ce sont des savoirs que nos anciens ont produit, que nos contemporains ont enrichis, que nos suivants amélioreront. Comme la lutte contre la déforestation qui aura pour finalité de continuer à fournir de l’ombre à la majorité de nos concitoyens, nous devons dès-à-présent redoubler d’efforts pour barrer la route à la désertification documentaire, en disant aux gouvernants qu’il n’est pas encore tard de collecter, par exemple, toute la documentation produite, à travers le monde, par des millions de cerveaux sénégalais et d’autres allogènes sur notre pays, d’identifier et de mailler tous les lieux documentaires du pays et de mettre en place des dispositifs fédérés d’accès à l’information comme le projet SIST en avait l’ambition, par exemple. C’est un impératif de mémoire pour les générations futures aiguillonnées qu’elles seront par des savoirs inspirants. Il ne s’agit nullement d’un combat au sens belliqueux du terme, défaut d’adversaire oblige, mais d’une exigence professionnelle envers nous-mêmes et un rappel de devoir pour un Etat qui se respecte en donnant à ses fils les moyens de se connaître et de renforcer leur identité patriotique. Réclamons une place dans les sphères de décision pour faire entendre une voix de raison, qui résonnera pour rappeler que l’ère de l’information est là, une ère du donner et du recevoir, ou le « donner » est aussi un indicateur du degré de respect dû à un Etat dans le vaste champ des Relations internationales. Descartes le disait si bien : « je pense donc je suis », les sénégalais sont aussi parce qu’ils pensent et cela depuis toujours, mais faudrait-il qu’eux-mêmes en aient conscience et le fassent savoir au monde.

La profession  « Infodoc » est un maillon du système étatique comme tous les autres segments qui siègent par exemple au Conseil économique et social, elle est aussi importante qu’une fonction culturelle dans une ambassade, en plus de pouvoir servir de relais de repérage de tous les brillants esprits de la diaspora qui ne rêvent pour la plupart que de partager leur production scientifique avec la mère-patrie. Ce sont autant d’exemples de pistes à explorer pour rétablir un ordre naturel qu’il est impensable de bouleverser dans des pays développés, c’est-à-dire placer la gestion de l’information et des connaissances au centre de tout processus de décision nationale et en faire un outil de souveraineté, donc identitaire. Une fois ce cap franchi, nous professionnels pourront ainsi démontrer nos aptitudes à relever ce défi ainsi posé, parce qu’en fin de compte tout est question de savoir-faire et de technicité et cela ne nous est pas étranger, bien au contraire.

Cependant pour arriver à des résultats probants en ce sens, il nous faut chasser le démon de la division qui dessert plus qu’elle ne nous sert. L’adage jamais démenti d’une union qui fait la force est toujours de mise et c’est le moment de poser des jalons pour réunir toutes les forces vives de profession « infodoc » du Sénégal, pour mener solidairement ce combat pour la valorisation de nos métiers et par ricochet le développement de notre patrie.

Publicité

2 commentaires sur « N° 81 – Gestion de l’information et Développement au Sénégal »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s