Le 29 novembre 2018 a marqué la Journée mondiale de la conservation numérique 2018 (WDPD2018) et cela constitue une occasion de se soumettre à un exercice d’idéation en ce sens, tant les enjeux du numérique sont plus que cruciaux. En effet les matériaux et ressources numériques restent un produit de base pour les secteurs économiques, sociaux, gouvernementaux, académiques, médicaux, etc. Les industries créatives, le patrimoine culturel et les médias dépendent d’un accès fiable aux documents numériques, tandis que d’un point de vue plus restreint, les relations familiales et amicales s’étendent et se maintiennent par le biais d’interactions numériques. Les opportunités créées par ces matériaux numériques reposent dans le long terme, sur le travail de la communauté qui s’investit dans la conservation numérique.
Chaque jour, se créent, s’utilisent et se conservent des données numériques et ce processus est désormais tenu pour acquis, mais cela ne doit pas nous empêcher de rappeler la réflexion sur le tout le travail nécessaire à perpétuer, pour rendre les données disponibles et profiter des opportunités qui découlent de cette disponibilité.
D’un point de vue d’africain, l’enjeu est encore plus important pour des raisons objectives qu’il n’est pas utile de rappeler ici en détail, mais qui sont liées à la situation de « faiblesse économique » générale des pays d’Afrique. Je partage ci-dessous un extrait portant sur la préservation en contexte africain tiré de mon chapitre dans l’ouvrage collectif produit dans le cadre de la commémoration des 25 ans des « Classiques des Sciences sociales ».
Une des finalités [de la numérisation] est donc de conserver une ressource numérique en guise de mémoire pour les générations futures. Il s’agit tout d’abord d’une préservation du support numérique qui est généralement un fichier informatique et donc, par ricochet, de son contenu qui est l’information fixée sur ce fichier. Il peunt s’agir aussi de préserver l’accès au contenu quand il s’agit d’un fichier informatique disponible en ligne. Dans ce cas précis, il faut veiller à ce que le chemin qui mène au fichier soit toujours ouvert, ce qui implique que la ressource soit sur un serveur en bon état et que le protocole utilisé pour y accéder soit correct. Ces deux dimensions de la préservation sont capitales, étant entendu qu’elles ont un seul effet commun qui est de permettre à ces ressources d’être vues, consultées, exploitées, quelles que soient les temporalités qui entrent en jeu. En effet, pour qu’il y ait démocratisation de l’accès à l’information et aux connaissances en Afrique, il faut que les contenus soient sauvegardés et surtout accessibles de manière pérenne.
C’est le lieu de revoir sans doute les rôles et missions des établissements nationaux à caractère patrimonial que sont les archives, bibliothèques et musées nationaux africains qui, pour la plupart, n’ont pas fait de mue significative dans l’appropriation de la réalité numérique. Il leur faut mettre en place des dispositifs de transposition des caractères du dépôt légal analogique aux documents numérisés et d’archivage de ces derniers, en veillant au respect de leur intégrité, authenticité et disponibilité et en les gardant intelligibles et exploitables sans limitation de durée (Archives nationales de France 2018). Cela permettra de remplir cet objectif de préservation pour le long terme, qui participe de la fabrique continue des identités nationales prises séparément et d’une identité africaine dépassant ces clivages de type national.
Dans une perspective privée, il est à envisager pour les structures concernées de mettre en place des systèmes d’archivage électronique et plus précisément des coffres-forts numériques, pour préserver ces ressources et l’accès aux informations sensibles qu’elles peuvent renfermer.
(…) La numérisation du patrimoine africain [et sa conservation] est à inscrire dans une volonté d’inventer et de construire des horizons collectifs pour des millions d’Africains. Ceux-ci sont actuellement grandement spoliés d’un référentiel historique indispensable à leur projection dans un futur, qui est espéré meilleur que leur présent. Le continent [africain] est à la croisée des chemins entre la maturité de ses États, indépendants depuis une soixantaine d’années, et une ère numérique à investir, du moment que ces États n’ont pas été contemporains de l’ère industrielle qui a accéléré le développement des pays dits du Centre. L’enjeu est aussi là : prendre l’ère numérique comme une ère d’opportunité, d’autant plus qu’elle cadre bien avec le substrat culturel africain fortement ancré dans la nature. En effet, le numérique induit une autre forme de croissance économique, non basée sur la transformation agressive des matières premières qui est le lot de l’industrialisation classique, mais fondée sur la connaissance démocratisée et étendue de l’écosystème naturel et la manière de l’utiliser à des fins avantageuses tout en le préservant. Une posture adoptée depuis longtemps et depuis toujours par l’Homo africanus dans sa diversité ethnogéographique.
L’idée majeure est de numériser nos processus macro-sociaux, qu’ils soient hérités ou construits et de les conserver avec une idée sous-jacente d’emprunt aux générations futures qui se chargeront de les pérenniser en les améliorant. L’ensemble du chapitre est disponible en suivant ce lien.