N° 106 – Modèle de chaîne de valeur pour le livre en tant que produit culturel

Je profite de la célébration de journée mondiale du livre et du droit d’auteur pour me soumettre à l’exercice de réflexion concernant ce que pourrait incarner une chaîne de valeur du livre. Une célébration somme toute louable et à encourager, tant le produit concerné (le livre) a fini de prendre racine dans la conscience collective mondiale, en tant que vecteur universel de connaissance et d’évasion cérébrale. Toutefois, cette célébration me semble généralement non équilibrée quant à la mise en exergue des différents corps professionnels qui composent la galaxie du livre. Une part plus importante est toujours faite aux auteurs et créateurs, un degré moindre aux éditeurs et encore moins aux bibliothécaires que nous sommes. Je me propose donc de revisiter la chaîne de valeur du livre, de sa création à sa mise à disposition publique, en insistant sur l’étape cruciale que constitue sa mise à l’épreuve bibliothéconomique, ce qui n’est que justice à rendre à l’issue d’une plaidoirie endogène.

À l’heure de cette célébration, le livre est trop souvent compris et réduit à sa dimension d’œuvre d’art (forme et style d’écriture). Il arrive très fréquemment que, pour des panels à l’occasion d’évènements comme cette journée mondiale du livre, l’appel soit fait aux seuls écrivains ou en combinaison avec les professeurs de littérature et éditeurs, et peu ou pas aux bibliothécaires, ce qui est une énorme hérésie qu’il faut corriger.  Même si pareille célébration se pare du manteau d’animation culturelle dont le livre serait l’élément central, un modèle de chaine de valeur en ce sens ne saurait se constituer en faisant fi du rôle central que les bibliothécaires jouent dans cette symphonie livresque.

Que comprendre à propos de la « chaîne de valeur » ?

Une chaîne de valeur fait référence à l’ensemble des activités que les organisations entreprennent pour amener un produit ou un service de la conception aux différentes phases de la production (impliquant une combinaison de transformation physique et l’apport de divers services de production), à la livraison aux consommateurs finaux et à l’élimination éventuelle après utilisation. Sa prise en compte dans le monde de l’entreprise a toujours une portée économique en termes d’avantages sous forme de profit.

Dans le contexte du livre et partant de cette définition, la chaîne de valeur engloberait l’ensemble du processus, depuis la création initiale du contenu par un auteur jusqu’à la consommation finale du livre par les lecteurs. Elle comprend ainsi des étapes telles que la rédaction, l’édition, la publication, la production, la distribution, la vente au détail et les services de bibliothèque, chacune contribuant au développement, à l’accessibilité et à l’importance globale du livre.

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Voyons en détails le modèle de chaîne proposé en sept (7) étapes

1.  Rédaction : il s’agit de l’étape initiale où les idées sont conceptualisées et les manuscrits créés. Les auteurs sont les principaux créateurs, développant un contenu qui reflète les besoins culturels, éducatifs ou de divertissement.

2.  Édition et publication : cette étape implique la transformation des manuscrits en livres publiables avec l’aspect typographique. Les éditeurs, les maisons d’édition et les agents littéraires jouent un rôle crucial. Ils affinent le contenu, garantissent la qualité et préparent le livre pour la production.

3.  Production : il s’agit de la création physique ou numérique du livre. Les imprimeurs, les graphistes et les spécialistes du formatage numérique travaillent à la production de livres de haute qualité. Leur contribution à la création de valeur est également primordiale, grâce à la transformation de l’œuvre d’esprit en un produit matériel attrayant et ergonomique.

4.  Distribution : les distributeurs et les grossistes acheminent les livres vers les détaillants et les autres points de vente, y compris les plateformes en ligne. Dans les régions sous-développées, cette étape peut se heurter à des difficultés telles que l’inefficacité logistique et l’accès limité aux marchés.

5.  Commercialisation et dissémination : les livres parviennent aux consommateurs par le biais de différents points de vente, notamment les librairies, les détaillants en ligne et, dans certains cas, les bibliothèques mobiles. Les détaillants jouent un rôle crucial en rendant les livres accessibles à différents segments de la population.

6. Bibliothéconomie : dans les régions sous-développées (ou en développement), les bibliothèques et les bibliothécaires jouent un rôle central dans la chaîne de valeur. Ils ne se contentent pas de fournir un accès aux livres, mais s’engagent également dans des actions de proximité pour s’assurer que les livres sont abordables à toutes les couches de la société, y compris à ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter des livres. Les bibliothécaires participent à l’organisation de programmes d’alphabétisation, de séances de lecture et d’ateliers éducatifs. Ils conçoivent des politiques de développement de collection qui sont essentiels pour adapter le contenu documentaire aux besoins et aux usages locaux.

Leurs rôles dans la chaine de valeur du livre (éducateurs, animateurs communautaires, conservateurs de contenu, etc.) sont essentiels et peuvent être détaillés comme suit :

  • Améliorer l’alphabétisation : mise en œuvre de programmes d’alphabétisation et d’initiatives d’apprentissage. Ces programmes conduits en collaboration avec le secteur éducatif qui peut être acteur de formation, la bibliothèque fournissant locaux et livres d’apprentissage en langues concernées, y compris vernaculaires. Il s’agit de contextualiser les acquisitions en les adaptant à l’environnement local, les rendant plus pertinents et plus accessibles à la population. Les bibliothécaires s’engagent dans la sensibilisation communautaire, en organisant ces programmes d’alphabétisation et ces ateliers adaptés aux besoins socio-économiques et culturels locaux.
  • Gérer des ressources : en situation classique de manque ou d’insuffisance d’allocation de ressources financières et matérielles, il faut maximiser les bénéfices pour la communauté, en administrant efficacement ces ressources limitées. La bibliothèque noue des partenariats pour s’équiper, par des dons ou subventions, négocie avec les éditeurs pour des coûts avantageux. À cela s’ajoute une gratuite de services documentaires à la communauté, contribuant à une démocratisation de l’accès à l’information. Les bibliothèques sont des zones franches d’accès au livre pour ceux qui ont peu ou pas de moyens d’en acquérir.
  • Promouvoir l’identité culturelle : préserver et promouvoir la culture locale grâce à des collections d’auteurs et de thèmes locaux. La politique de développement des collections, s’appuie sur une démarche logique de promotion de la création locale et donc une dynamique de favorisation de la créativité. Les ateliers d’écriture, les animations autour des thématiques culturelles endogènes, aident à renforcer le sentiment d’appartenance à un écosystème culturel bien défini et à y enraciner.
  • Inspirer la souveraineté nationale : mettre l’accent sur la souveraineté bibliographique et numérique en tant que facteur essentiel du développement national. Les bibliothécaires encouragent la création et la diffusion de contenus locaux, en veillant à ce que la culture et les connaissances de la nation soient préservées et développées par le biais de supports traditionnels et numériques pour référence ultérieure. Fournir des livres imprimés d’éditeurs locaux, des livres électroniques en ligne via des sites web avec des adresses URL avec extension (DNS) nationaux. L’aspect de souveraineté bibliographique est cependant plus complexe à mettre en œuvre dans une bibliothéconomie de dimension essentiellement culturelle, car elle touche à des opérations pointues de gestion de métadonnées d’autorité par exemple.
  • Valoriser les publications : traiter matériellement et surtout intellectuellement les livres issus des auteurs et des éditeurs, par la description bibliographique, l’analyse de contenu (indexations analytique et systématique) ajoute de la plus-value, y compris économique, dont peuvent tirer profit les autres acteurs de la galaxie du livre. Son signalement dans les catalogues, par exemple, fait office de publicité plus ou moins gratuite pour les détenteurs des droits d’auteur et droits voisins. Il en est de même de produits documentaires basiques que sont : une liste de nouvelles acquisitions ou répertoire littératie thématique.

7.   Lecture et engagement communautaire : les consommateurs finaux des livres, avec leurs commentaires rétroactifs, peuvent influencer les publications futures et la création de contenu axé sur la communauté. Dans les régions culturellement et économiquement diverses, l’engagement des lecteurs peut conduire à l’évolution d’un contenu plus adapté et plus pertinent. En contexte scolaire, le livre est une formidable forge d’imaginaires, au-delà de son soutien éducatif (manuels, ouvrages de référence). La lecture contribue à structurer l’intellect en lui donnant une capacité d’analyse hors normes, profitable à plus ou moins long-terme.

Représentation visuelle

Un schéma graphique pour illustrer sommairement cette chaîne de valeur, en soulignant chaque étape successive, y compris le rôle des bibliothécaires au sein de cette chaîne.

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Bonne fête à tous les livreurs de livre !
Force à vous ! Pour que sa livraison multiforme ne faillît point, quelle que soit la forme livresque.

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