N° 95 – Enjeux de la numérisation en Afrique. 5, Conclusion

Au terme de cette présente réflexion, il apparaît clairement que les enjeux de la numérisation en Afrique sont nombreux et varient selon les objets concernés par cette numérisation. L’un des enjeux importants – et qui a été volontairement occulté dans l’argumentation – concerne les coûts financiers induits par une activité de ce type. En effet, des équipements à mobiliser à la rémunération de différentes ressources humaines, en passant par les coûts de consommation énergétique, des budgets conséquents sont nécessaires. Cependant, cela ne doit pas être un frein à s’investir dans de pareils projets, vu les retombées positives induites. Des retombées que ce chapitre a mises en évidence. La préservation et la valorisation du patrimoine valent toutes les dépenses possibles, d’autant plus que c’est une opération qui n’est généralement pas récurrente et les coûts y afférents sont budgétisés en une seule fois. À cela, il faut ajouter tout un arsenal de technologies libres et de protocoles ouverts qui peuvent être mis à contribution, diminuant ainsi considérablement les coûts de production. C’est le lieu de faire appel sans doute à la coopération Nord-Sud et profiter de l’expérience prodigieuse de la bibliothèque Les Classiques des sciences sociales qui rend accessible une multitude d’œuvres éditées du champ social. Ce sera l’occasion pour ce projet de se réinventer en investissant le champ des connaissances issues d’Afrique qui n’a pas l’occasion de toujours profiter de l’environnement numérique. Nouer des partenariats avec des universités africaines francophones pour numériser leurs produits scientifiques permettrait aux responsables des Classiques des sciences sociales d’élargir leur champ d’action et de viser un autre universalisme pratique en la matière.

La numérisation du patrimoine africain est à inscrire dans une volonté d’inventer et de construire des horizons collectifs pour des millions d’Africains. Ceux-ci sont actuellement grandement spoliés d’un référentiel historique indispensable à leur projection dans un futur, qui est espéré meilleur que leur présent. Le continent est à la croisée des chemins entre la maturité de ses États, indépendants depuis une soixantaine d’années, et une ère numérique à investir, du moment que ces États n’ont pas été contemporains de l’ère industrielle qui a accéléré le développement des pays dits du Centre. L’enjeu est aussi là : prendre l’ère numérique comme une ère d’opportunité, d’autant plus qu’elle cadre bien avec le substrat culturel africain fortement ancré dans la nature. En effet, le numérique induit une autre forme de croissance économique, non basée sur la transformation agressive des matières premières qui est le lot de l’industrialisation classique, mais fondée sur la connaissance démocratisée et étendue de l’écosystème naturel et la manière de l’utiliser à des fins avantageuses tout en le préservant. Une posture adoptée depuis longtemps et depuis toujours par l’Homo africanus dans sa diversité ethno-géographique. Enfin, c’est le moment de profiter des opportunités technologiques actuelles, tant physiques que logicielles, qui font que le continent est de plus en plus connecté grâce à la fibre optique. Une situation qui permet d’accroitre considérablement sa connectivité, a l’image du projet 2Africa et son câble sous-marin de télécommunications de 37.000 kilomètres. Les logiciels libres sont accessibles pour les utilisateurs et utilisatrices tout comme pour les responsables du développement et de la maintenance permettant la gestion quotidienne de tels dispositifs d’accès et de conservation. À ces forces existantes, il faut ajouter des postures managériales affirmées au niveau continental. Ces dernières se matérialisent par une discussion régulière de la destinée numérique de l’Afrique, avec les Fora sur la gouvernance d’Internet, la vigueur active des chapitres nationaux de l’Internet Society[8] et de l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN)[9], dont la manifestation la plus palpable et la plus récente (2017) est la mise à disponibilité du nom de domaine « .africa », qui donne une identité géographique univoque à toute ressource numérique d’origine africaine partagée sur le Web. Tous les prérequis sont déjà là pour ancrer encore plus l’Afrique dans le train de la numérisation. Le reste est une question de conscience de devoir faire et de volonté d’agir.

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Notes


  1. Pour lire l’explication résumée de cette méthode, voir : https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/upload/docs/application/pdf/2014-06/aix-marseille_outils_methodo-_qqoqcp.pdf.
  2. Lors d’un conseil des ministres tenu en juin 2017, le président sénégalais interpellait les ministres en leur demandant de veiller à l’intensification de la numérisation des archives et documents administratifs (http://www.cndst.gouv.sn/index.php/une/1038-macky-sall-veut-accelerer-la-numerisation-des-archives).
  3. Voir : https://repository.uneca.org
  4. Voir https://web.archive.org/web/20060210122814/http://digital.lib.msu.edu:80/projects/africanjournals/index.cfm
  5. Léopold Sédar Senghor est le premier président de la République du Sénégal et un partisan de la théorie des cercles concentriques lors de la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1963.
  6. Voir le Décret n° 2005-985 du 21 octobre 2005 relatif à l’orthographe et la séparation des mots en ménik (http://www.jo.gouv.sn/spip.php?article4795). Actuellement une vingtaine de langues ont été codifiées dans le pays.
  7. Voir : http://library.stanford.edu/africa-south-sahara.
  8. Internet Society est une organisation mondiale qui veille à ce que l’Internet reste ouvert, transparent et défini par tous (Internetsociety.org).
  9. L’ICANN gère le système de noms de domaine ou DNS(Domain Name System) qui a été conçu pour rendre Internet accessible à tout un chacun et pour que les ordinateurs puissent s’identifier entre eux et s’interconnecter grâce à des identifiants uniques (icann.org).

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