N° 97 – De l’animation documentaire via le numérique social

Et si nous autres bibliothécaires, archivistes, documentalistes, muséographes…détournions pour de vrai l’objet, généralement conçu par la WebSphere, de l’utilisation des réseaux sociaux numériques ? Aller au-delà de l’utilisation ludique stricto-personnelle à contours quelques fois narcissiques (Statut ou Story personnels).

Il ne s’agit pas de réinventer la roue de la bibliothèque 2.0, jadis si chère à nos yeux quand émergeaient les applications du Web social au milieu de la décennie 2000. Il est ici plus question de faire évoluer ces postures déjà éprouvées, en adoptant des pratiques en émergence, dont une des plus enthousiasmantes, à mes yeux, est la réalisation de films sous forme d’épisodes courts successifs à l’image des séries télévisées articulées autour d’un scénario bien défini et diffusées via les médias sociaux. A pareil jeu, YouTube et ses plateformes pairs (Dailymotion, Vimeo, etc.) sont naturellement celles qui viennent à l’esprit en tant que canal de diffusion. En effet, en termes de durée de vie (histoire toujours en cours) et de nombre d’exaoctets que ces dispositifs ont eu à dérouler et conserver sans rides, leur légitimé ne peut souffrir d’aucune remise en cause rationnellement fondée. Toutefois, avec l’émergence d’outils du même acabit mais offrant plus de spontanéité en mode création comme en consultation, spontanéité qui a fini de faire leur succès notamment chez les jeunes, certains esprits avertis, voire géniaux, ont décidé d’investir ces plateformes, comme Instagram et sa version TV (IGTV devenue Instagram Vidéo et disponible depuis 2018 quand même), pour faire et partager de l’art scénique. Il fallait juste y penser, tant l’audience susceptible d’acquisition à ce niveau est phénoménale, un rêve à portée de réalisation pour tout marketeur de produit. Le marketing digital et ses tenants ont à voir à ce propos une formidable opportunité de déploiement et d’expansion.

Beaucoup de services d’information documentaire, utilisent déjà Instagram comme plateforme promotionnelle, notamment pour partager des évènements, vulgariser des contenus nouvellement acquis, etc. Rien de nouveau donc sous le soleil, mais qu’en est-il d’une utilisation au-delà de ce classicisme en termes d’animation documentaire et surtout avec la fonctionnalité formidable de pouvoir diffuser des vidéos de plusieurs dizaines de minutes, qui plus est en format vertical, donc adapté aux écrans de smartphone ?

Une question qui m’est inspirée par l’exemple magnifique du programme equiano.stories, dont la trame est une re-visitation de la traite négrière sous le prisme d’un jeune déporté, qui aurait eu accès à la technologie numérique en ces temps de tribulation et qui se serait à mis partager sa vie de captif. Cela donne un film épisodique magnifique, plein de réalisme tant par les décors, costumes que le casting. C’est une histoire de vie réelle mettant en lumière la vie de l’esclave d’origine nigériane Olaudah Equiano, déporté en Amérique au 18e siècle et qui a pu publier son autobiographie après avoir été affranchi par son maître en 1766. Ce film proposé comme compte et profil Instagram, dénombre plus de 92000 abonnés qui suivent les épisodes successivement postés. Le film se base sur cette autobiographie, avec un scénario qui reprend l’histoire de vie y racontée.

Olaudah Equiano

Olaudah Equiano

Imaginons une bibliothèque investir ce champ artistique qui sort des sentiers battus du 7e art et de celui télévisuel classiques, dont le modèle ontologique de création et de diffusion ne vise pas la cible des « natifs numériques », autrement considérables comme cinéphiles ambulants armés de smartphones et autres tablettes. Un exemple serait à ce niveau, de construire un scénario de parcours documentaire pour différents profils d’utilisateurs, qui vulgariseraient une articulation entre leur statut de client bibliothéconomique et l’impact de celui-ci sur un ou des aspects de leur vie quotidienne (scolaire, professionnelle, économique, scientifique, etc.). L’idée étant de surligner les bénéfices et la positivité acquise grâce la fréquentation de la bibliothèque.

Pour un Service d’archives, ce serait de construire des scenarii autour d’articles archivistiques à qui il serait rendu vie par un jeu d’acteurs, dont les narrations, répliques et autres dialogues s’inspireraient fidèlement des contenus archivistiques déclassés et présentant un intérêt historique ponctuel ou permanent.

Idem pour un musée où les artefacts sont toujours porteurs de charge symbolique après leur fonction d’usage initiale. L’idée pourrait être de bâtir une trame en liaison avec cette fonction d’usage, pour ressusciter toutes les péripéties de vie qui ont entouré la création de l’objet. Replonger dans un univers socioculturel pour contribuer à coconstruire des consciences collectives autour de socles identitaires en léthargie, par exemple.

La faisabilité de pareil projet peut paraitre compliquée de prime abord, tant les compétences à mettre en jeu sont aussi diverses que pointues, parce que faisant appel à des techniques et habiletés aux antipodes de la profession documentaire. Là justement, peut se mesurer la pertinence d’une initiative en ce sens, sachant qu’elle ouvre le champ des partenariats vers les métiers d’art qui ont un lien insoupçonné avec l’ouvrage documentaire. En effet, tous les produits de l’art finissent par constituer la matière première du façonneur documentaire qui en devient conservateur et metteur en valeur. Outre l’idée d’inclure dans la formation initiale des professionnels documentaires, des modules liés à la création filmique, la collaboration avec le monde de la mise en scène artistique redeviendrait une nécessité, pour que les réalisateurs et autres scénaristes se fassent apôtres de la dynamisation à grande échelle des espaces et des documents et artefacts qui y sont abrités et exposés. Il est même possible de se passer de ces professionnels pour peu que cela occasionne la mobilisation de budgets hors de portée de la structure documentaire. L’autonomisation peut être de mise allant de la prise de vue (un bon smartphone bien doté en capacité de stockage suffit), au montage vidéo où on peut profiter d’excellentes applications en la matière à coûts très abordables.

En termes de stratégie de financement, le conseil est d’élaborer des projets en ce sens sachant que c’est le projet qui fait l’argent et non le contraire. Profiter des contextes locaux de nos abris documentaires, pour proposer des « Instagram series » concoctées à partir des documents dont nous avons la garde et le devoir de rendre plus comestible et indispensable au plus grand nombre.

C’est la valorisation qui est donc le fil conducteur de la scénarisation proposée ici, et qui profiterait de l’énorme attrait que prodigue un outil comme Instagram. Il s’agit de transporter nos us et coutumes professionnelles, nos contenants de données et de connaissance vers ses utilisateurs, en formatage selon leurs desiderata de clientèle assidue à ce niveau. Le jeu en vaudrait vraiment la chandelle.

Laisser un commentaire