N° 94 – Traitement documentaire en mode confinement

Dans le précédent billet, l’accent était mis sur le service documentaire en ce temps de crise sanitaire où le confinement a vu nos espaces documentaires fermés à nos publics. L’essentiel de l’argumentation tournait autour du maintien du lien documentaire, comme impératif pour fidéliser l’usager coupé des collections et autres dispositifs d’accès à la connaissance disponibles dans les enceintes physiques de nos centres de documentation et bibliothèques. Le maintien de cette fonction de service direct à l’usager est un maillon essentiel de notre mission, mais ne peut occulter l’autre versant de notre identité qu’est le traitement matériel et intellectuel des documents que nous mettons à disposition de cet usager. La question qui mérite d’être posée ici est celle liée à l’accomplissement de cette tâche de traitement, qui est certes moins visible, mais qui demeure tout aussi vitale, parce que constituant un des stades menant à la médiation documentaire aboutie. En étant coupé de son lieu d’exercice, de ses collègues et des collections à valoriser, comment accomplir cette tâche de la chaîne documentaire et rester dans ce que l’anglo-saxon dénomme « Business continuity » ? Cette continuité d’activité, dont la planification doit être une exigence pour tout groupe organisé, afin de fonctionner en cas de désastre ou de crise majeure comme celle du CoViD-19.

Il est fantastique, via un plan de continuité d’activité, de pouvoir servir nos usagers en documentation voulue et même par anticipation spontanée, ce qui est un moindre souci pour les professionnels que nous sommes, vu la foison d’outils à notre disposition et les ressources documentaires infinies qui sont le lot de notre monde atteint d’infobésité. Il est tout aussi important que cette continuité d’activité concernât le traitement matériel et intellectuel qui est la cheville ouvrière de nos processus documentaires. Le risque en cas de manquement de ce côté, serait de troubler les acteurs de cette fonction de traitement dans nos officines documentaires, qui pourraient légitimement se poser des questions quelque peu angoissantes sur leur utilité et leur productivité en cette période. Mon but est d’apaiser cette potentielle anxiété en démontrant qu’il est bien possible par exemple, de cataloguer et d’indexer de partout et à n’importe quelle heure, en utilisant les moyens technologiques disponibles en mode gratuit ou payant. Le concept de bibliothèque virtuelle, hors-les-murs, prend encore mieux son sens dans la réalisation de tâches classiquement remplies entre les quatre murs d’une bibliothèque, comme le catalogage qui se mue ainsi en télécatalogage.

Quelques prérequis

  • Un bon système intégré de gestion de bibliothèque, ou logiciel de bibliothèque numérique en version Web. Exit la version client/serveur qui limite le nombre d’accès simultanés avec le système de licences d’utilisation payantes, et est souvent assujettie à la connectivité qui peut être défaillante surtout dans des environnements non bien équipés en ce sens.
  • Des documents sous format numérique, accessibles via un serveur (y compris Cloud) ou disponibles sur un disque de stockage portatif. Ces documents peuvent être de tout type (texte, audiovisuels, etc.), pourvu qu’ils soient électroniquement consultables.
  • Un certain nombre d’outils bibliographiquement dédiés, de préférence gratuits ou acquis à titre onéreux si les moyens de la bibliothèque le permettent.

Simulation illustrée dans une bibliothèque disposant d’une collection de quelques milliers de documents numérisés.

Cette bibliothèque en mode confinement de ses agents, a inscrit dans son plan de continuité d’activité, la poursuite de l’opération de description bibliographique de cette collection électronique via son logiciel de bibliothèque numérique. Quelques étapes de pareille opération sont décrites ci-dessous :

  1. Le dispatching des documents aux catalogueurs via des plateformes de partage de documents. Il y en a à foison à l’image du Drive de Google, mais pour un souci professionnel, MicrosoftTeams (ci-dessous pour l’exemple qui nous concerne) fera bien l’affaire.
  2. La création de la notice après réception par le catalogueur se trouve facilitée généralement par l’existence de notices déjà toutes faites concernant un document. Même pour les documents pour lesquels cela est moins évident, une recherche dans le catalogue de la bibliothèque du Congrès réserve très souvent d’agréables surprises, à l’exemple d’un document de planification d’un pays africain datant des années 80-90.
      • Dans l’impossibilité d’acheter ladite notice auprès de cette prestigieuse bibliothèque, le jeu du copier-coller des données de champs en MARC 21 demeure une alternative précieuse, tant elle permet la description elle-même et garantit en même temps la qualité des données copiées.
  3. A la suite de la description pure, arrive le moment d’enrichir celle-ci par des données de l’indexation, liée au choix interne fait à ce niveau et qui fait la part belle au thésaurus du système d’information bibliographique des Nations Unies (UNBIS), combinant indices systématique et analytique (descripteurs) qui sont utilisés pour remplir respectivement les champs 072 et 653 du format MARC 21.

  1. Cette indexation systématique ou classification est aussi enrichie par le biais de la classification décimale universelle (zone 080 du MARC21), dont la base de données est cependant payante (identifiant et mot de passe requis). On peut toutefois profiter de la période d’essai pour découvrir cet outil somme toute formidable.

Une plateforme qui permet de construire des indices tout faits. Il est loin le temps où il fallait créer les indices CDU manuellement à l’aide de la table entière en format papier, ceci après avoir passé beaucoup de temps à s’arracher les cheveux au cours de la formation initiale en indexation 😊.

L’aspect payant pour ce générateur d’indice de classification, ou pour l’acquisition de notices descriptives en MARC via le service payant de de la bibliothèque du Congrès, attestent du modèle économique que peut produire le catalogage. Cela ne doit pas être pris uniquement comme un pis-aller, mais comme une opportunité pour tous ceux qui ont des fonds documentaires de littérature grise (écrits académiques, rapports techniques, etc.) en grande quantité et qui peuvent aussi mettre en place des dispositifs payants de fourniture de notices issus de ces fonds particuliers, voire uniques. Un clin d’œil à tous les collègues d’Afrique qui disposent à foison de ce type de collections et qui ont une tendance assez inquiétante à reléguer la description bibliographique au second plan. Le catalogage peut générer des revenus 😊.

  1. A cette indexation systématique, est associée des éléments de cotation faisant appel à la table Cutter-Sanborn qui permet de trouver des indices d’auteur d’ouvrages et ainsi différencier les auteurs homonymes dans un système de classement (rangement).

Générateur d’indice auteur, (exemple NIGER : N685)

Une fois tous ces outils utilisés à bon escient, il ne restera plus avant validation, qu’à relire la notice pour éviter les fautes d’orthographe et les erreurs d’ordre normatif. En mode OPAC (catalogue accessible en ligne), les notices doivent être parfaites, surtout qu’elles sont susceptibles d’être moissonnées ou copiées par d’autres collègues, y compris ceux qui sont locuteurs d’une langue autre que celle de leur conception originelle (les notices).

  1. En complément de cette simulation, on peut partager une autre activité de télétravail liée cette fois-ci à la fourniture d’accès à des ressources via un moteur de recherche. Pour appuyer des programmes d’enseignement en ligne et d’animations (exemple des Webinaires), la bibliothèque citée en exemple, génère des résultats de recherche issus de requêtes de recherche prédéfinies sur un ou des thèmes spécifiques de ces programmes. Le lien vers ces pages de résultats est partagé au niveau des forums et autres chats de ces dispositifs d’interaction, assurant à la bibliothèque une plus-value de visibilité par une présence active même avec la distanciation. Toutefois, il arrive souvent que ces liens soient très longs, en fonction notamment de l’affinage des résultats par le filtrage des termes de recherche. L’astuce à ce niveau est d’utiliser un réducteur d’URL ou raccourcisseur de lien.

Outil BIT.LY

Bit.Ly offre plusieurs fonctionnalités : notamment la possibilité de tagguer chaque lien, des statistiques de clics sur le lien raccourci, et la provenance géographique de ceux ou celles qui l’ont ouvert.

Le plan de continuité d’activité dans une bibliothèque ne doit pas seulement concerner le service aux usagers, quand bien même ces derniers sont le but de la médiation. Il faut y inclure toutes les autres activités, surtout celles liées au traitement des collections numériques. Cela implique une posture résolument tournée vers l’appropriation des technologies du Web, et l’acquisition de documents convertibles en numérique y compris des productions audiovisuelles qui, au demeurant, sont très pertinentes dans un contexte de communautés non alphabétisées qu’il faut servir. Un télétravail bibliothéconomique sur ces produits documentaires est aussi envisageable, d’autant plus qu’ils sont aussi partageables via des applications de messagerie et partage de documents, qui ont fini de se démocratiser avec l’aide du smartphone. Un bon compte professionnel WhatsApp pour la bibliothèque permet de faire de la diffusion sélective de l’information (DSI) à des groupes d’usagers bien profilés (centres d’intérêt, et niveau de littératie y compris numérique). A ce niveau une question légitime peut se poser, à savoir le manque de commodité lié à l’utilisation d’un téléphone mobile pour assurer ce service de DSI. Là pas de souci, on peut  télécharger la version Desktop de WhatsApp à installer sur son ordinateur, où utiliser l’application directement sur son navigateur Web, il suffit juste après de synchroniser cela avec l’application installée sur son mobile par le biais d’un QR code à scanner. Cela offre plus d’ergonomie pour le partage des fichiers préalablement stockés sur disque interne ou externe, tout en permettant la communication par messagerie instantanée.

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